Monday, August 21, 2006

PAS DE SECRET ENTRE NOUS même si ce texte est réservé aux initiés

Les passages les plus intéressants du livre seront cités dans divers articles.

Sunday, August 20, 2006

La pilule des cinq "nectars"

La lecture de certains textes tantriques, notamment des TANTRAS qualifiés de " supérieurs ", génère parfois un profond malaise.

LE KALACHAKRA TANTRA, " La Roue du Temps ", est certainement le texte le plus sacré du bouddhisme tibétain, sa rédaction remonterait au premier roi de SHAMBHALA (SUCHANDRA " Lune parfaite "). Ce TANTRA fondamental du VAJRAYANA a été traduit en français. Le livre est édité par DESCLEE de BROUWER. Depuis l'année 2000, il est distribué dans toutes les grandes librairies. Certains libraires, peu attentifs au contenu de leurs livres, ont mis le kalachakra à côté de délicats textes religieux, empreints de poésie mystique.

Le chapitre six du kalachakra Tantra comprend un traité d'alchimie et de démonologie infantile. La strophe 125 de ce traité est peu ragoûtante. C'est une prescription moyenâgeuse qui affirme sans ambages : "La consommation de matière fécales et d’urine, de sperme et de sang menstruel, mélangés à la chair humaine, prolonge la vie. " Ce sont les cinq ingrédients qui entrent dans la composition des pilules de "nectar".
Selon le KALACHAKRA TANTRA, c’est le Bouddha lui-même qui explique comment préparer et utiliser ces ingrédients pour rajeunir, supprimer toutes les maladies, mettre fin aux difformités corporelles…

Des lamas distribuent parfois des " pilules de nectar " à leurs élèves les plus zélés. C'est une faveur rare, toujours appréciée comme une grâce du Vénérable et Omniscient Rinpoché.
Le lama KELSANG GYATSO, entré dans la dissidence qui ébranle l’école GUELOUPA, recommande d’éviter de consommer ces pilules. Dans son livre "Guide du Pays des Dakinis " (éditions THARPA). Il donne des précisions sur les cinq " nectars ", page 22 , édition de 1997 :
" Toutefois, seule une personne ayant des accomplissements exceptionnels peut transformer des substances impures, telles que de l’urine et des excréments, en précieuses pilules de nectar ; il est impossible qu’une personne sans entraînement et qui a peu de réalisation le fasse. Certains pratiquants étaient connus parce qu’ils faisaient des pilules à partir de véritables viandes et de véritables nectars et qu’ils les distribuaient, et ce bien qu’ils n’aient reçu aucun signe indiquant que les ingrédients avaient été transformés. Différents textes tantriques nous préviennent de ne pas accepter ces pilules, sinon il se pourrait que nous mangions des excréments ! "
(note : Les chairs du chien, du cheval, de l’éléphant, de la vache et de l’être humain constituent les cinq viandes.)

Jean-Luc ACHARD, chercheur au CNRS, a traduit un texte DZOGCHEN intitulé " Le Cycle de l’Immortalité Adamantine ". Ce cycle, le sPyi-ti yoga (prononcer " Chiti Yoga " est l’un des cycles de la Grande Perfection (Dzogchen). Le DZOGCHEN est considéré comme l’enseignement le plus élevé de l’école NYINGMA.
Ce texte est attribué à PADMASAMBHAVA. Le folio 1O est digne de la magie noire du KALACHAKRA TANTRA :
" Il existe une préparation secrète propre à ces enseignements du sPyi-ti et aux substances et objets que tu découvriras : tu mélangeras de ma semence, du sang des règles de YESHE TSOGYEL, de la semence de huit Vidyadharas et de huit Mahâsiddhas, des cheveux, du sang écoulé du nez et de l’amrita.
La base de la préparation sera de la chair d’un brahmane aux oreilles en forme de conque. Celui qui consommera les pilules ainsi préparées, qui les verra, les touchera ou plus simplement, en entendra parler, sera digne des offrandes de la multitude. "

Saturday, August 19, 2006

"Touche pas à mon bonze !"

Les initiés francophones de la déité de méditation KALACHAKRA peuvent se procurer le guide de l’initiation et de la pratique quotidienne du GURU YOGA. Ce texte indique les étapes de la cérémonie souvent dirigée par le Dalaï-lama en personne. (KALACHAKRA, Guide de l’Initiation et du Guru Yoga, traduit par Sofia STRIL-REVER.)
Toutes les initiations tantriques imposent des obligations et des interdictions, ce sont souvent des serments (samayas) contraignants. Une interdiction est particulièrement inamicale à l’égard des bonzes de la tradition THERAVADA, qualifiée de HINAYANA, " petit véhicule " par les lamas. Selon leurs règles de conduite, les initiés du YIDAM KALACHAKRA ne sont pas autorisés à séjourner plus de sept jours chez les adeptes du THERAVADA, le bouddhisme originel répandu dans le sud-est asiatique.


Les ermites itinérants, les moines de la forêt, demeurent éloignés de l’agitation des grands centres urbains. Grâce à SATIPATTHANA, ces moines THERAVANDINS n’ont rien à envier aux écoles MAHAYANISTES.
Le moine BOUDDHADASA BIKKHOU, traducteur en langue thaïlandaise de HOUANG-PO et HOUEI-NENG, maîtres CH’AN, a exprimé magistralement sa compréhension du véritable bouddhisme libérateur des conditionnements de toutes sortes. Il a rappelé les dix liens, selon l’école des " Anciens" : (1) la croyance au moi permanent , (2) le doute, (3) l’attachement aux règles et aux rites, (4) la convoitise, (5) la haine, (6) le désir d’obtenir un corps subtil, (7) le désir de non-corporéité, (8) la vanité, (9) l’agitation, (10) l’ignorance.
Contairement au bouddhisme primitif, les pratiques des écoles ésotériques tibétaines visent à obtenir un double corporel. Le sous-titre du " TANTRA de KALACHAKRA " est : " Le Livre du Corps subtil ". Cet objectif était partagé par les Natha yoguis indiens.

Les théravandins ne connaissent pas les difficultés des adeptes tantriques qui sollicitent plusieurs " transmissions de pouvoir", et se retrouvent empêtrés dans des rites complexes avec en prime d’innombrables engagements (samayas) et contraintes. Certains lamas sont obligés de conférer une initiation spéciale pour enrayer les négativités que provoquerait l’inobservance des préceptes. Cette excellente initiative devrait permettre aux initiés du vajrayana de découvrir les pays asiatiques où l’on pratique le bouddhisme des " Anciens ".

Les moines de cette tradition accordent une grande importance à METTA, la bienveillance naturelle et spontanée. Les THERAVADINS sont accueillants. Un séjour dans un KUTI, hutte de méditation construite au milieu de la nature qui entoure les monastères de la tradition de la forêt, est une expérience inoubliable.
(Des images étonnantes d'un monastère perdu dans la nature en cliquant sur le lien "tradition de la forêt")

Friday, August 18, 2006

Thursday, August 17, 2006

A COMMENTARY ON THE KALACAKRA TANTRA

Taught by Geshe Lharampa Ngawang Dhargyey
Translated by Gelong Jhampa Kelsang (Allan Wallace)
Published by the Librairy of Tibetan Workd & Archives, Dharamsala, Himachal Pradesh, India. 1994



Thursday, July 20, 2006

Shoko Asahara

Le gourou de la secte Aum se proposait de transformer à marche forcée le monde en un "royaume de Shambhala" et avait mis en valeur ses introductions auprès de sa Sainteté le Dalaï-lama pour faciliter la pénétration des idées du tantrisme bouddhique de Shambhala dans la société japonaise.
(source Marc BOSCHE)
Le " maître spirituel " était grand amateur de voitures de luxe et de femmes. Il annonçait l’apocalypse et assurait que " tuer peut être utile parfois ". Ses disciples firent 12 morts et quelque 5 500 blessés dans l’attentat au gaz sarin de Tokyo le 20 mars 1995.

A la fin des années 80, Shoko Asahara n’était plus un inconnu. Il rencontra cinq fois le Dalaï-lama dont il se disait le disciple. Même après l’attaque au gaz sarin, le Dalaï-lama aurait, selon le magazine Stern (Stern 36/95, p. 126), réaffirmé son amitié pour le responsable de Aum Shinrikyo, appelant ce dernier " un ami, peut-être pas parfait, mais un ami ". De nombreux courriers attestaient de relations très amicales et respectueuses entre Asahara et les nombreuses autorités tibétaines, incluant Khamtrul Rinpoche et Kalu Rinpoche.

Marc Bosche écrit : "La photo ci-dessus est embarrassante pour les disciples de Sa Sainteté, qui préfèrent voir le Prix Nobel de la Paix en compagnie de l'Abbé Pierre ou de Richard Gere. Sa Sainteté le dalai lama pose main dans la main avec le riche bienfaiteur Shoko Asahara qui aurait donné en tout à la cause tibétaine 45 millions de roupies, soit environ 170 millions de Yen ou encore 1,2 millions de dollars selon le journaliste Christopher Hitchens, His Material Highness, 13 juillet 1998 in : http://www.elevenshadows.com/tibet/hismaterialhighness.htm Quelques années plus tard, le 20 mars 1995, le même Shoko Asahara, gourou de la secte Aum, et surtout psychopathe ayant dévoyé à sa manière la vision apocalyptique de Shambhala auprès de ses disciples, fera gazer au sarin de sa propre initiative (une arme chimique de guerre qu'il fit produire dans un laboratoire au Japon par des disciples) les passagers captifs du métro de Tokyo. L'attentat entraîna de nombreuses morts et de très nombreuses intoxications (environ 5500) dans ce qui devait s’avérer l'une des plus grandes catastrophes contemporaines en relation avec une secte. La photo ci-dessus ne figure pas dans l'album souvenir de Sa Sainteté sur son nouveau site www.dalailama.com, mais est reproduite en revanche dans le livre électrochoc de Victor et Victoria Trimondi (http://www.trimondi.de) "The Shadow of the dalai Lama" qui consacre tout son chapitre XIII (Deuxième partie de l'ouvrage) à cette question : http://www.trimondi.de/SDLE/Part-2-13.htm On découvre dans le chapitre sus-mentionné, précis et documenté, les liens qui unissaient, avant le drame, Sa Sainteté le Dalai Lama et Shoko Asahara, (même si bien entendu Sa Sainteté n'avait pas la moindre idée de la dangerosité future et des projets funestes de ce dernier). On peut suggérer à chacun qui lit l'anglais de découvrir en intégralité le chapitre XIII du livre des époux Trimondi http://www.trimondi.de/SDLE/Part-2-13.htm pour s'en faire une idée précise et informée. En particulier il semble que les deux hommes se soient rencontrés cinq fois à partir de 1987 si l'on en croît aussi le magazine Stern (36-95, p.116-117). (Ci-dessus : Shoko Asahara devant un tankha de tradition himalayenne) Le gourou de la secte Aum se proposait de transformer à marche forcée le monde en un "royaume de Shambhala" et avait mis en valeur ses introductions auprès de sa Sainteté le dalai lama pour faciliter la pénétration des idées du tantrisme bouddhique de Shambhala dans la société japonaise.
[Citation ci-dessous. Voici quelques liens Internet proposés par Victor et Victoria Trimondi concernant les relations entre le dalaï lama et Shoko Asahara :] "Shoko AsaharaThe Japanese Doomsday-Guru Shoko Asahara who became famous because of a gas-attack in the underground of Tokyo and whose organisation murdered more than 20 people was a good friend of the Dalai Lama. His worldview incorporates many elements he found in Tibetan Buddhism, including the Shambhala Empire. Asahara is extremely Anti-semitic. The Dalai Lama with Shoko Asahara: http://www.wordiq.com/definition/Shoko_Asahara http://www.trimondi.de/SDLE/Part-2-13.htm The Anti-Semitism of Japan's Aum Shinrikyo - A Dangerous Revivalhttp://www.ict.org.il/Articles/aum_antisemitism.htm Aum Shinrikyo http://web.uni-marburg.de/religionswissenschaft/journal/mjr/rev2_3_98.html What do the Dalai Lama and Shoko Asahara have in common?http://www.mutantfrog.com/2006/01/28/what-do-the-dalai-lama-and-shoko-asahara-have-in-common/ Birth Of A Guru http://www.crimelibrary.com/terrorists_spies/terrorists/prophet/3.html " (Victor & Victoria Trimondi, septembre 2006, information extraite d'un e-mail). "
Source : http://marc.bosche.ifrance.com/3.html

Wednesday, July 19, 2006

TANTRA de KALACHAKRA

Cliquer sur le texte pour l'agrandir.


Traduit du Sanskrit par Sofia Strill-Rever. Editions Desclée de Brouwer.

Monday, July 17, 2006

LA MORT VIOLETTE

Une nouvelle de Gustav Meyrink

Le Tibétain se tut.
Sa maigre silhouette resta un instant immobile, puis il disparut dans la jungle.
Sir Roger Thornton se mit à contempler le feu : si l’homme n’avait pas été un Sannyasin, un pénitent qui faisait le pèlerinage de Bénarès, il n’aurait pas cru un seul mot de ce qu’il venait de lui raconter. Mais un Sannyasin ne peut ni mentir ni être trompé. Alors, que penser de cette expression fourbe, cruelle, sur le visage de l’Asiatique ?
Ou était-ce simplement la lueur du feu qui se reflétait si étrangement dans les yeux du Mongol ?
Les Tibétains, songea-t-il, haïssent les Européens et gardent jalousement leurs secrets magiques grâce auxquels ils espèrent anéantir les orgueilleux étrangers quand l’heure aura sonné.
Lui, Sir Hannibal Roger Thornton, se devait d’aller voir de ses propres yeux si ce peuple insolite recelait des forces occultes. Mais pour cela, il lui fallait des compagnons, des gens courageux dont la volonté ne faiblit pas, même en présence d’une terreur inspirée par un autre monde.
L’Anglais considéra ses compagnons : l’Afghan était bien un Asiatique, aussi téméraire qu’un tigre, mais superstitieux. Restait donc son serviteur européen.
Sir Roger le toucha de sa canne. Pompeius Jaburek était sourd depuis l’âge de dix ans, mais il était capable de lire sur les lèvres de quelqu’un même une langue étrangère.
Sir Roger Thornton lui exposa clairement par gestes ce que le Tibétain venait de lui apprendre : à environ vingt jours de marche, dans une allée himalayenne exactement située, se trouvait une fort curieuse langue de terre : sur trois côtés, des parois rocheuses abruptes ; le seul passage était barré par des gaz empoisonnés émanant du sol, qui tuaient immédiatement tout être vivant essayant d’avancer. Au fond de la cavité, sur le plateau dont l’étendue était d’environ cinquante mille carrés anglais, vivait une petite tribu apparentée à la race tibétaine ; les indigènes portaient des coiffes pointues de couleur rouge et adoraient un être satanique et cruel en forme de paon. Depuis des siècles, cet être diabolique leur avait enseigné la magie noire et révélé des secrets susceptibles de bouleverser un jour le monde entier ; c’est ainsi que notamment, il leur avait appris une suite de sons capables d’anéantir l’homme le plus fort en un instant. Pompeius sourit d’un air sceptique. Sir Roger lui expliqua qu’il avait l’intention, à l’aide d’un casque et d’une bonbonne de scaphandrier remplie d’air comprimé, de traverser la zone gazeuse et de pénétrer dans le territoire interdit. Pompeius Jaburek fit un signe d’assentiment et frotta ses mains sales l’une contre l’autre en signe de satisfaction.

Le Tibétain n’avait pas menti : là en contrebas, au sein de la végétation luxuriante, s’étendait l’étrange plateau : une ceinture de terre jaune-ocre, quasi désertique et large d’environ deux kilomètres, isolait l’enclave du reste du monde. Le gaz qui sortait du sol était de l’oxyde de carbone pur.
Sir Roger Thornton se décida, après avoir observé le plateau du haut d’une colline, à commencer l’expédition dès le lendemain matin. Les casques de scaphandrier qu’il avait venir de Bombay s’avéraient fonctionner parfaitement. Pompeius portait les deux carabines à répétition et divers instruments que son maître avait jugés indispensables.
L’Afghan avait farouchement refusé de les accompagner, attestant qu’il était prêt à poursuivre un tigre jusque dans sa tanière, mais regardait à deux fois avant d’oser faire la moindre chose qui pût rejaillir sur son âme immortelle. Les deux Européens furent donc les seuls qui osèrent s’armer de courage.
Les scaphandres de cuivre étincelaient au soleil et projetaient des ombres insolites sur le sol spongieux, d’où sortaient des bulles innombrables et minuscules de gaz empoisonné. Sir Roger avait adopté un pas très rapide, pour que l’air comprimé suffise à traverser la zone gazeuse. Tout lui semblait flou, comme vu à travers une mince pellicule d’eau. La lumière verte d’un soleil fantomatique nimbait les lointains glaciers du " Toit du monde " et de ses formes gigantesques : on eût dit un étrange paysage funèbre.
Déjà, il se trouvait avec Pompeius sur l’herbe fraîche, et il frotta une allumette pour s’assurer de la présence d’air atmosphérique à tous les niveaux. Alors, tous deux enlevèrent casque et bonbonne. Derrière eux, se dressait le mur de gaz, ondulant comme une masse d’eau. Dans l’air planait un parfum envoûtant, proche de celui de l’ambre. Des papillons, grands comme une main, aux couleurs éclatantes et aux dessins étranges, étaient posés les ailes ouvertes, tels des livres de magie, sur les fleurs immobiles.
Les deux hommes se mirent en marche, à bonne distance l’un de l’autre, vers l’îlot forestier qui leur bouchait la vue.
Sir Roger fit un signe à son serviteur : il lui semblait avoir entendu un bruit. Pompeius prépara son fusil.
Ils contournèrent la pointe de la forêt et aperçurent une prairie. A moins d’un quart de mille, une centaine d’hommes, sans doute des Tibétains, coiffés de chapeaux rouges pointus, avaient formé un demi-cercle : les intrus étaient attendus. Calmement, Sir Thornton se dirigea vers le groupe d’hommes, Pompeius le suivant latéralement à quelques pas.

Les Tibétains étaient vêtus des habituelles peaux de mouton, mais avaient l’air à peine humains, tant leurs visages déformés par une expression de haine surhumaine, tant leurs visages déformés par une expression de haine surhumaine étaient laids. Ils laissèrent les deux hommes approcher, puis, sur un geste de leur chef, bref comme un éclair, ils levèrent les mains vers le ciel et les pressèrent énergiquement contre leurs oreilles. En même temps, ils crièrent quelque chose de toutes leurs forces.
Interdit, Pompeius Jaburek se tourna vers son maître et arma son fusil, car l’étrange mouvement de foule lui semblait être le signe d’une attaque proche. Ce qu’il vit alors lui figea le sang dans les veines.
Autour de son maître s’était formée une couche de gaz tourbillonnante, semblable à celle qu’ils venaient de traverser. La forme de Sir Roger perdit ses contours, comme effacée par la spirale ; la tête devint pointue, toute la masse sembla fondre et se ramasser sur elle-même, et, à l’endroit où quelques instants auparavant se trouvait encore le valeureux Anglais, il y avait maintenant une espèce de quille d’un violet clair ayant la forme et la grosseur d’un pain de sucre.
Désemparé par sa surdité, Pompeius entra dans une rage folle. Les Tibétains criaient toujours, et il tenta désespérément de lire sur leurs lèvres ce qu’ils disaient.
C’était le même mot, sans cesse répété. Tout à coup, le chef fit un signe ; ils se turent et baissèrent les bras. Comme des panthères, ils se précipitèrent en direction de Pompeius qui se mit à tirer avec sa carabine à répétition, plongeant le groupe dans la stupeur. Instinctivement, il cria le mot qu’il venait de déchiffrer sur leurs lèvres : " Hêmêlên ! Hê-mê-lên ! " hurla-t-il, et les parois du gouffre répercutèrent le cri avec une intensité terrifiante.
Il fut saisi par le vertige ; tout lui sembla vu à travers de grosses lunettes, et la terre se mit à tourner autour de lui. Cela ne dura qu’un instant. Quand il recouvra une vue normale, les Tibétains avaient disparu comme son maître ; devant lui, il n’y avait plus que d’innombrables pains de sucre violets, plantés dans le sol.

Le chef vivait encore. Ses jambes étaient déjà transformées en une bouillie bleuâtre, et le buste avait commencé aussi à se ratatiner – comme si l’homme avait été digéré tout entier par un être invisible. Il ne portait pas de coiffe rouge, mais une sorte de mitre sur laquelle des yeux jaunes, vivants, bougeaient encore.
De la crosse de sa carabine, Pompeius lui écrasa la tête, mais il ne put éviter qu’au dernier moment le mourant le blessât au pied d’un coup de faucille.
Puis il regarda autour de lui. Pas un seul être vivant. Le parfum d’ambre était devenu étouffant. Il semblait émaner des formes violettes. Pompeius s’en approcha : elles étaient toutes identiques, composés de la même matière gélatineuse de couleur mauve. Pas question de retrouver les restes de Sir Roger Thornton parmi ces pyramides violettes.
Grinçant des dents, Pompeius donna un coup de pied sur la face du chef tibétain et reprit le même chemin en sens inverse. Il apercevait déjà les casques de cuivre dans l’herbe, étincelant au soleil. Il emplit d’air pur sa bonbonne de plongeur et pénétra dans la zone des gaz. Le chemin lui sembla interminable. De grosse larmes coulaient sur les joues du pauvre homme : " Mon Dieu ! mon Dieu ! mon maître est mort ! Mort, ici, au fin fond de l’Inde ! " Les géants de glace de l’Himalaya bâillaient vers le ciel ; que leur importait la douleur d’un minuscule cœur humain battant à tout rompre !

Pompeius jaburek consigna fidèlement sur papier tout ce qui s’était passé – car il n’y comprenait toujours rien – et adressa son récit au secrétaire de son maître à Bombay, au n° 17 de la rue Adheritollah. Ce fut l’Afghan qui se chargea de le porter au destinataire. Puis Pompeius mourut, car la faucille du Tibétain était empoisonnée. " Il n’y a de Dieu qu’Allah et Mahomet est son prophète ", récita pieusement l’Afghan en touchant le sol de son front. Des chasseurs hindous couvrirent le cadavre de fleurs et le brûlèrent sur un bûcher surélevé en psalmodiant des chants religieux.
Ali Murrad Bey, le secrétaire, devint livide en apprenant la terrible nouvelle ; aussitôt, il en envoya le récit à l’ " Indian Gazette ".
Et le nouveau fléau se répandit.
Le lendemain, l’ " Indian Gazette ", qui devait publier l’histoire du " cas Sir Roger Thornton ", parut trois heures plus tard que d’habitude. La cause de ce retard était un étrange et terrifiant événement.
Mr Birendranath Naorodjee, le rédacteur du journal, ainsi que les deux collaborateurs, qui, chaque jour, à minuit, parcouraient la gazette avec lui avant sa parution, avaient disparu du bureau, fermé de l’intérieur, sans laisser la moindre trace. A leur place, on trouva que trois cylindres gélatineux bleuâtres, réunis autour du journal fraîchement imprimé. La police n’avait pas encore fini de rédiger, avec sa vanité et sa lourdeur coutumières, les premiers rapports, qu’on signalait déjà d’innombrables cas analogues.
Ce fut bientôt par dizaines que disparurent les lecteurs de journaux, gesticulant sous les yeux de la foule terrorisée qui se pressait dans les rues. D’innombrables pyramides violettes encombraient les escaliers, les marchés, les ruelles, tous les endroits où se posait le regard.
Au crépuscule, la moitié de la population de Bombay avait disparu. L’administration avait pris aussitôt des mesures sanitaires, fait fermer le port et interdit tout échange avec l’extérieur, afin d’empêcher la propagation de la nouvelle épidémie. Jour et nuit, le télégraphe et le téléphone envoyèrent dans le monde entier, mot pour mot, le terrible récit du " cas Sir Thornton ".

De tous les pays affluèrent des messages de terreur annonçant que " la mort violette " s’était déclarée presque partout en même temps, et que la terre risquait d’être décimée par le fléau. Le chaos s’était installé partout et le monde civilisé ressemblait à une énorme termitière dans laquelle un paysan aurait introduit sa pipe allumée.
En Allemagne, l’épidémie éclata d’abord à Hambourg ; l’Autriche, où l’on ne lit que des nouvelles locales, fut épargnée pendant quelques semaines.
Le premier cas signalé à Hambourg fut particulièrement émouvant. Le pasteur Stühlken, rendu presque sourd par son âge respectable prenait son petit déjeuner avec sa famille : Theobald, son aîné, avec sa longue pipe d’étudiant, Jette, sa fidèle épouse, Minchen, Tinchen, etc., tous étaient là. Le vieil homme venait d’ouvrir un journal anglais et lisait aux siens le récit du " cas Sir Roger Thornton ". Il avait à peine dépassé le mot " Hêmêlên " et bu une gorgée de café pour se réconforter qu’il constata avec horreur qu’il n’y avait plus autour de lui que des cônes violets posés sur des chaises. Dans l’un d’entre eux était encore plantée une pipe d’étudiant. Les quatorze âmes avaient été rappelées auprès du Seigneur. Le saint homme en tomba évanoui.
Une semaine plus tard, plus de la moitié de l’humanité avait déjà disparu.
C’est à un savant allemand qu’il fût donné d’apporter au moins un peu de lumière sur ces événements. Le fait que les sourds et les sourds-muets avaient été épargnés par l’épidémie lui donna fort justement l’idée qu’il s’agissait là d’un phénomène purement acoustique. Dans la retraite de son cabinet de travail, il rédigea un long discours scientifique et en annonça la lecture publique avec quelques slogans publicitaires.
En gros, son explication du phénomène se référait à quelques écrits religieux hindous presque inconnus, qui indiquaient une méthode pour provoquer des tourbillons astraux et fluidiques en prononçant certains mots et formules secrètes, et il appuyait ces explications en les comparant aux expériences les plus modernes dans le domaine des vibrations et de la lumière irradiante.
Il tint cette conférence à Berlin, et il lui fallut un porte-voix pour lire les phrases interminables de son manuscrit, tant le public était venu nombreux. Ce mémorable discours se termina par ces mots lapidaires : " Allez chez un oto-rhino-laryngologiste, demandez-lui de vous rendre sourd, et gardez-vous bien de prononcer le mot Hêmêlên. "
Une seconde plus tard, le savant et son auditoire n’étaient plus que des cylindres gélatineux sans vie. Mais le manuscrit restait ; il fut bientôt connu, appliqué, et préserva l’humanité de l’anéantissement total.
Quelques décennies après, vers 1950 ( ?), une nouvelle génération de sourds-muets peupla la terre.
Mœurs et coutumes différentes. Rang social et biens bouleversés. Le monde est dirigé par un spécialiste des oreilles. Les manuscrits alchimiques ont été détruits ; Mozart, Beethoven et Wagner sont tombés en désuétude, de même qu’Albert le Grand et Bombastus Paracelsus.
Dans les salles de torture des musées, ont peut voir ça et là, quelques vieux pianos empoussiérés exhiber leurs dents jaunâtres.
Post-scriptum de l’auteur : le lecteur prendra garde de ne pas prononcer à haute voix le mot " Hêmêlên ".